COME-BACK to Greece
lundi 1er Décembre 2015 :
Encouragés par l’œil Turque, symbole de chance, et le signe d'une porte qui s'ouvre nous avons tenté le tout pour le tout. Il y a parfois des décisions à prendre qui demandent de risquer sa tête, et c'est à cette seule condition que d'autres risqueront la leur pour vous. C'est ce qu'ils ont fait. Heureux soient ceux qui portent en eux un cœur humain et généreux ! Bénis soient ceux qui nous ont offert l'Europe !
Comme en signe de bienvenue les montagnes bombent leurs monts face à nous tout cependant que le ciel déverse ses eaux par torrents. La pluie qui trempe, dégouline douce et froide sur nos habits, génère les grelots du grain de notre peau. La pluie, artiste créant le vert, ce don, ce miracle. La pluie qui embrasse le monde, ses champs, ses forêts, ses toits, ses routes, ses trottoirs, ses chapeaux, ses mers et océans. La pluie qui immerge de son amour tout ce qui se trouve sous sa main, même les ingrats, comme je le fut moi même longtemps. Moi qui eut vu la pluie telle des larmes, aujourd'hui je sais m'être fourvoyée. Elle est le baume que supplient toutes les terres assoiffée et brûlantes de poussières que nous avons côtoyé durant l'année passée.
A la lisière de la forêt de chêne où nous avons choisi de passer la nuit, chacun à notre manière nous nous émouvons de cette entrée en Europe. Elle est l'incarnation du renouveau. Chaque insecte, plante, odeur, qu'il ne nous a pas été donné de voir ou de sentir depuis trois ans revêt un caractère merveilleux. L'angle avec lequel nous percevons ce qui nous entoure, cet environnement qui devrait nous être commun, est à présent bien différent de celui que nous portions à l'aller. Sur ces premières impressions de redécouverte nous trouvons le sommeil, bercés par les tapotements de la pluie sur le tissus tendu de la tente, tout autant que par les bruits sourds des mâchoires enamourées de Cortex et Rassoudok, ils s'affairent joyeusement à la reconquête des plaisirs Européens du palais.
La frontière Asiatique, ligne lumineuse immobile, à présent derrière nos dos, se suspend au dessus des flots de la rivière. Ici même de nombreux émigrés se sont jetés et se jetteront sans doute encore dans un ultime espoir de rêve Européen. Comme nous l'a été compté de bouches-passées-par-là certains y ont perdu la vie, d'autres ont rejoint le continent avec succès, d'autres encore se sont fait prendre par les gardes frontière, parfois lâchement dénoncé par des locaux. Vendre un être humain, qui plus est sans considération pour les risques qu'il vient d'endurer et les difficultés ou probables horreurs auxquelles il tente d'échapper, est au delà de mes capacités de compréhension. Soyez sûrs qu'en cas de guerre les leçons de la seconde guerre mondiale sauront malheureusement se révéler abominablement inutiles.
Dans un excès d'indignation, David et moi assis sur le métal gelé d'un banc, enfermés à l'arrière d'un véhicule d'incarcération et traités comme des criminels, nous enrageons une énième fois contre la police. Ce qu'on appelle présomption d'innocence, au vu du comportement des pions de l’État, ressemble bien plus à une présomption de culpabilité qu'autre chose. Mais gardons le sourire, tant bien même ils nous obligent à quitter animaux et bagages au bord de la route et sans surveillance, tant bien même ils nous reluquent le sourcil hautain et haineux, la langue accusatrice et le crachat venimeux. Tant bien même, après avoir tout tenté, n'ayant rien à nous reprocher, ils paradent soudainement une hypocrite sympathie imprégnée de pitoyables excuses. « Vous savez, avec tous ces étrangers qui tentent d'entrer... » Bienvenue dans l'Union Européenne, la perle de la Démocratie et des Droits de l'Homme ! Un exemple mondial de respect !
Pressés de nous éloigner de la frontière Turque nous pénétrons des vallées abondantes. La nature y vautre sa grasse et majestueuse verdure sur les pans et les bords de route, dans une presque indécence envers les paysages secs et évidés de nos mémoires récentes. L'environnement nous apparaît à sa juste valeur, d'une richesse infinie. La pauvreté est un mot qui n'a pas de sens dans un tel lieu où la nature s'offre à pleine paumes. Et pourtant, chérie rengaine de presque toutes nations, la population se plaint de la misère. Parce que quand on subit une dégression on se plaint toujours, on ne voit jamais la quantité de ce qu'on a, seulement la quantité de ce que l'on perd. D'autant plus quand devant nous se pavanent les bandits qui s'enrichissent de la dite misère. Mais ce qui a été perdu ne désempli par pour autant les ventres et les maisons, et entendre de la bouche de riches qui s'ignorent qu'ils sont devenu miséreux, cela offense presque nos oreilles. Car la pauvreté, si sur l'instant nous ne la percevions que peu puisque même les plus chiches familles rencontrées tout au long de notre route avaient toit au dessus de la tête et pain dans l'estomac, nous avons passé du temps avec. L'indigence pleurniché par les familles moyennes qui vivent ici, c'est déjà l'opulence. Une opulence qui permet par ailleurs économie des corps et donne accès à la longévité. La preuve : la vieillesse a envahit les villages, ses rues, ses magasins, ses maisons et ses cafés. C'est un souffle de réconfort qui nous provient de ces rires affectueux et innocents que propagent autour d'eux ceux que l'on appelle avec affection les petits vieux, eux avec qui nous échangeons chaque jour. Ces hommes et femmes qui n'ont plus rien à prouver parce qu'ils ont déjà tant vécu qu'ils ne cherchent plus qu'à être eux même, et délivrer à la jeunesse leurs sagesses progressivement acquises par la labeur des années. Ils nous avaient manqué ! Et nous aussi il semblerait, car la jeunesse locale les laissent s'éteindre seuls au milieu des villages qui se meurent avec eux.
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